The Hierarchy of Suffering * La Hiérarchie de Souffrances

Some tragedies are prized over others.  From the heroes we put on pedestals to our choice of commemorations, it is clear that some atrocities are engraved in our collective memory while others are all but ignored. In this article for MediaPart I argue (in French), that this hierarchy of suffering is part of a continuing pattern of inequality.

Author Christine Angot’s clumsy comments about slavery triggered an outcry across the country. It’s easy to see why.

Slavery Memorial Museum in Nantes

La Hiérarchisation de Souffrances

Les horreurs des deux guerres mondiales et de l’Holocauste restent gravées dans notre mémoire collective. Pourtant, un silence persiste autour de la machine d’esclavage qui a broyé des millions d’hommes, de femmes et d’enfants. Hélas, ce qui brise le silence, sont des propos souvent maladroits – mais très révélateurs.

 

Quand il s’agit de racisme même les personnes considérées les plus intelligentes ont tendance à montrer une ignorance colossale.

Il y a quelques semaines c’était à l’autrice Christine Angot de nous expliquer que contrairement à la Shoah, dont le but était l’extermination des Juifs, l’idée de la traite humaine, c’était « qu’ils soient en pleine forme, » pour être vendus.

« Oui, rejoint Franz-Olivier Giesbert dans « On n’est pas couché, ajoutant, « qu’ils soient en bonne santé, bien sûr, bien sûr. »

Aucune intervention pour les corriger. Un drôle de silence.

Peut-être parce que c’est difficile de savoir par où commencer, car il y a près de 400 ans d’histoire à rattraper.

Par les plus de 12 millions de personnes qui ont été victimes de la traite humaine, pendant laquelle les Européens ont transporté des hommes, femmes et enfants aux Amériques, dont on estime qu’au moins un million avait déjà trouvé la mort avant même d’arriver de l’autre côté de l’Atlantique ? Les survivants, invariablement victimes de violence et de viol, avaient une espérance de vie de 20 ou 25 ans.

Ou on pourrait commencer par les petits détails : les vendeurs donnaient juste suffisamment à manger aux esclaves pour qu’ils ne succombent pas aux maladies et à la faim – avant de les vendre. Ils ont souvent appliqué de l’huile sur les corps des esclaves pour leur donner du lustre au marché.

Mais qui aurait pu imaginer que cette arnaque parviendrait à embobiner les Européens aujourd’hui ?!

Bien que Madame Angot ait présenté ses excuses la semaine suivante, son discours – et l’absence de voix qui la contredit – nous rappelle la hiérarchie de souffrances, dont certains événements attirent beaucoup plus d’attention et de sympathie que d’autres.

A l’occasion du 70ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz en janvier 2015, le Président François Hollande a dit que la Shoah était «  le plus grand crime jamais connu et jamais commis dans (l’histoire de) l’humanité ».

Nombreuses sont les commémorations des deux guerres mondiales, de batailles et d’armistices, mais on parle si peu de la traite négrière qui a duré des siècles, qu’on n’en connait guère les bases.

Et ça va plus loin que l’ignorance volontaire. Même ceux qui ont un minimum de connaissance de cette histoire meurtrière cherchent à la justifier.

En début d’année la directrice du théâtre d’un spectacle à Vincennes sur l’histoire tragique des autochtones au Canada a estimé que si les colonialistes avaient massacré les Indiens, « c’était une autre époque » où ils n’étaient pas forcément conscients de ce qu’ils faisaient.

En bas des articles sur l’esclavage aujourd’hui, beaucoup de lecteurs sont d’accord, arguant que les valeurs changent d’une ère à l’autre.

Sauf qu’il y avait également ceux et celles qui ont dénoncé ces barbaries à l’époque.

Ignorer, minimiser, balayer, excuser – ce sont des mesures employés – consciemment ou non – pour reléguer la souffrance des personnes dites « racialisées » au second rang. Ce n’est pas assez que les esclaves et les colonisés aient été dénigrés durant leurs courtes vies, encore faut-il qu’on les insulte une fois morts, avec nos euphémismes et notre mémoire très sélective.

Certes, les Français ne sont pas seuls en cause.

La machine à laver le passé a été perfectionnée au Canada, où tout le monde ou presque connaît le fameux « Underground Railroad », ces réseaux du 19e siècle par lesquels les nord-américains ont aidé les esclaves à fuir les plantations du sud, longtemps comparé à un chemin de fer souterrain.

Les Canadiens se félicitent d’avoir été le « terminus » de ces réseaux où des milliers d’esclaves ont pu trouver refuge.

Mais cette fierté de quelques décennies courageuses éclipse deux siècles de honte.
Au Canada colonial, gouverné par les Français et par les Britanniques, l’esclavage a perduré là aussi, pendant près de 200 ans.

J’ai été tellement frappé par l’ignorance généralisée en la matière que j’ai effectué un documentaire radio sur l’Histoire de l’esclavage et de son effacement, qui était une découverte pour nombre d’auditeurs.

Christine Angot a provoqué un tollé par ce que notre façon de regarder l’Histoire en dit long sur notre manière de voir les uns et les autres – et surtout les personnes racialisées aujourd’hui.

Dans la foulée, elle avait raison cependant, de souligner la spécificité de chaque tragédie historique.

Le problème tient aux inégalités sur les champs de la nostalgie, toute comme dans la vie quotidienne. Dans la hiérarchie de souffrances, on privilégie certains chapitres de notre Histoire, au prix, hélas, de beaucoup d’autres.

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